Baby on board ?

Deux semaines de retard, le ventre légèrement gonflé et des bouffées de chaleur - ça explique pourquoi je suis vêtue d'un short et d'un débardeur alors que ça caille, et qu'on a même eu droit à un peu de neige. J'ai toutes les bonnes raisons pour m'inquiéter ou pleurer. Ou pour passer la journée chez moi, bien enfoncée dans le canapé, à regarder une téléréalité pathétique. Il ne manque plus qu'un pot de glace pour parfaire le cliché de la femme qui se fait larguer dans les films, en fait.

Oui, j'étais mal en point. Et je voulais attendre d'être sûre de ma grossesse avant d'avoir une "conversation sérieuse" avec Nam Sun, mais il y a de nombreux indices, mon corps ne ment pas. Et puis, je n'avais pas la force de vivre une telle situation toute seule. Trop de pensées et d'émotions se bousculent dans ma tête depuis quelques jours. Mais peut-être que je faisais d'une mouche un éléphant. Un bébé, ça ne peut pas être une si mauvaise nouvelle... « Sauf si on a 23 piges et tout simplement pas envie de devenir mère... » murmure-je en m'ébouriffant les cheveux, étouffant un juron entre mes dents.

Et lui, il avait déjà un gros gamin en charge, il n'en voudrait pas un autre. Il y a un mois, je n'étais même pas sûre qu'il voulait d'une petite amie, alors un enfant... d'ailleurs, je sais pas comment nos parents prendront la nouvelle. Soit ils sauteront de joie, soit... c'est le contraire. J'entends déjà ma mère faire une crise. "Ma fille est enceinte et elle est pas mariééée".

J'essuie mes larmes quand on sonne à la porte, fichues hormones. J'avais demandé à Nam Sun de venir parce qu'on "doit parler", et je deviens de plus en plus anxieuse à cette idée. Les yeux embués, j'ouvre la porte alors qu'une amorce de sourire étire un coin de mes lèvres. Je n'avais rien de la petite amie pleine de vie qui, d'habitude, lui sautait dans les bras à chaque rencontre. Je le laisse entrer. « Il n'y a plus de biscuits à la vanille dans la supérette du coin. » dis-je avec une espèce de sourire, essayant de justifier pourquoi j'avais des larmes aux yeux. Mais ces fichues hormones me font craquer, je fonds en larmes mais suis bien trop préoccupée par notre problème pour penser à ma fierté. Sans même dire bonjour, je bafouille quelques mots, comme s'il savait de quoi je parlais : « Non, en fait, la vérité c'est que... je veux pas te partager. »

« Hey... ?  » En croisant son regard, je me sens mal pour l'avoir inquiété, et ça devient de plus en plus difficile de délivrer l'information. « De quoi est-ce que tu parles ? Je comprends pas. Je suis là, tu n'as pas à me partager ? Si tu parles de l'odeur bizarre de ma chemise, c'est Kyong Hee, j'ai beau lui dire, ça la fait toujours rire quand je lui dis que j'aime pas qu'elle me colle.  » Dans mon état, tout peut devenir prétexte à une crise, alors entendre le nom de Kyong Hee sortir de sa bouche... sérieusement, je sais qu'il pense pas à la même chose que moi quand je parle de partage, mais je m'attendais pas à m'attirer cette réponse. « Et tu me dis ça le plus normalement du monde ? Je sais même pas ce qui est pire, le fait que je sois condamnée à me comporter comme une maniaco-dépressive, ou qu'il y ait le parfum d'une autre femme sur ta chemise ! Ça m'étonnerait même pas de tomber sur une trace de rouge-à-lèvres... » ça s'échappe à mes lèvres comme un reproche, je dramatise sans doute. Si, d'habitude, ça avait juste le don de m'énerver et de me rendre jalouse, là c'est limite si je m'imagine pas coincée dans son appartement, occupée à élever ses enfants alors que monsieur passe son temps à câliner cette femme.

« Mais pourquoi pas... après tout, dans trois mois elle pèsera toujours 50 kilos, alors que moi... » je laisse ma phrase en suspension pendant que je remonte légèrement mon haut pour regarder mon ventre dans un miroir. Difficile d'imaginer que ça deviendra tout rond d'ici quelques mois. Je ressemblerais au personnage de ma série préférée, surnommé Fatty McButterpants, que je trouvais tellement drôle et qui maintenant me fait pleurer. « Tu n'es pas jolie quand tu pleures.  » Je me retourne vers lui, attrape un mouchoir et commence à essuyer mes larmes. Chose qui ne sert pratiquement à rien, vu que j'arrête pas de pleurer. « Ben vas-y, dis-moi que je suis grosse aussi ! Tu pourrais te montrer un peu plus compatissant, tu sais ? » Sur ces mots, je m'enferme dans la salle de bains pour me passer de l'eau sur le visage, et accessoirement pour me calmer un peu.

Cinq minutes plus tard, je reviens dans le salon et m'assieds sur le canapé. « Désolée, je dois avoir l'air d'une folle. Mais il y a une explication logique à mon comportement. Il faut que je t'avoue quelque chose. » J'ai le regard fuyant et les mains tremblantes, et même pas un verre pour me donner du courage. Zéro alcool pendant neuf mois, qu'est-ce que c'est long. « Ce que je veux dire, c'est que... nous sommes des idiots. » Parce que nous nous sommes pas protégés. Je déglutis en affrontant son regard. « En fait, je crois que tes petits poissons ont remonté le courant un peu trop vite. » Ou comment gagner quelques secondes supplémentaires pour rassembler son courage.

« Ne va pas te faire d'idée, je ne sais pas si tu t'en souviens, mais je ne suis pas le genre à te tromper, avec qui que ça soit. » Ce qui m'aurait rassurée en temps normal, m'énerve encore plus maintenant. « Pourquoi tu la laisses te toucher alors ? Tu réagirais comment si je câlinais mes collègues, moi ? » Je sais bien qu'il n'y comprends rien à la situation, et qu'il n'est pas compatissant comme il dit. Mais j'avais besoin qu'il fasse une exception. Enfin, une fois sortie de la salle de bains, je me sens en meilleure état. Mais il faut toujours que je sois plus explicite comme il dit.

« Eun Hee, je t'ai demandée d'être plus claire, pas de jouer aux devinettes. Si tu es enceinte, dis le moi clairement.  » Mes yeux s'écarquillent. Je bloque devant sa réaction calme. Je m'attendais limite à ce qu'il voit la lame de la guillotine tomber sur lui, sur nous. A ce qu'il se demande si je me foutais pas de sa gueule, ou qu'il ait au moins autant de mal que moi à dire que je suis enceinte. Mais rien. Est-ce moi qui en fais tout un plat ? La nouvelle est-elle bonne ou mauvaise ?  

Je plante mes yeux au fond de ceux de Nam Sun pour répondre à sa demande. « Ne flippe pas d'accord ? Mais t'as vu juste, je crois que je suis enceinte. » J'ai le regard d'une fillette terrorisée qu'on vient d'effrayer de manière violente. Oui, j'ai peur. Peur de la situation, car il y a trop de questions, de prévisions. Peur de notre décision. Peur de lui et de sa réaction aussi. Et je me sens mal pour le petit être qui n'est même pas encore né.« Tu réalises ce qui nous arrive ? On a tout juste les moyens de nous payer un appartement et de régler nos factures, un bébé c'est comme... cinq appartements ! Ça coûte une blinde. »

Je serre une main dans l'autre pour m'empêcher de trembler. « On aurait pu voir ça comme une bénédiction, et se dire que ça devait arriver. Sauf que ça n'a rien à voir avec le hasard, c'est pas à l'industrie du préservatif qu'il faut foutre un procès, Nous avons juste pas été prudents. On sait pourtant comment on fait des bébés, n'est-ce pas ? » C'était pour répondre à sa question, voilà ce qu'on a fait de mal. Mon regard se rive un court instant sur l'écran de la télé, diffusant cette stupide téléréalité, que je désigne du bout du menton : « C'est pourquoi je regarde cette daube. Ça me console de voir qu'il y a dix fois plus abruti que moi sur terre. »

J'avais sûrement pris un air trop dramatique, mais en même temps y a ce poids qui me comprime la cage thoracique dont je me sens légèrement déchargée à présent. Je soupire. S'il n'était pas là pour m'écouter, j'aurais explosé. « Tu m'en veux ? » Après tout, si j'avais pris la pilule, les choses auraient été différentes.

« Tu me fatigues. » Il ne reçoit pour réponse qu'un splendide regard noir. Je le sais, que je suis fatigante. Je me fatigue moi-même à agir comme une folle, mais son corps à lui n'a rien à subir. Je voulais juste qu'il soit un peu moins honnête pour une fois, c'est trop demander ?

Il semble que oui. J'ai peur alors que de son côté, c'est différent et il explique même pourquoi. « Et toi, tu te rends compte qu'à l'heure d'aujourd'hui, ce n'est que des doutes que tu as ? Tu ne crois pas qu'avant de retourner ton appartement, tu devrais peut-être vérifier ?  » Voilà, la réalité que je voulais pas entendre. J'ai pris en considération plein de possibilités, sauf celle de tout simplement ne pas être enceinte. Je dois buguer pendant deux bonnes minutes, puis la réalité me frappe de plein fouet une nouvelle fois : « Tu exagères à un point qui dépasse l'entendement là, si tu veux mon avis.  » Et alors qu'il m'embrasse, je reste figée comme une pierre. « Mais... » Je reconnais qu'il a raison, je suis pas du genre à m'apitoyer sur mon sort. Je fais plutôt partie des gens dont l'univers est ensoleillé et joyeux. Où est passée ma bonne humeur ?

« Mais... supposons que je ne suis pas enceinte, pourquoi j'ai envie de cerises au ketchup ? » C'est que même moi, j'ai pas des envies aussi étranges. « Et le mal de tête ? Et la nausée ? Et mes hormones qui sont sens dessus dessous ? Et... » Je soupire. « Désolée, t'as raison. Je me comporte vraiment irrationnellement. Je vais essayer de rester calme. »

« Idiote. Bien sûr que non, il faut être deux pour ce genre de chose, si tu es vraiment enceinte, on trouvera un moyen. Mais commençons pas vérifier, il faut faire les choses dans l'ordre.  » J'hoche la tête après une pause de réflexion. « Oui... il est conseillé de faire le test de grossesse le matin, mais je crois pas pouvoir patienter une minute de plus. » Le test, je l'avais acheté hier, mais je viens seulement de trouver le courage de le faire.

Je pose le test sur mes genoux et m'assois sur le bord de la baignoire après avoir ré-ouvert la porte de la salle de bains. C'est les trois minutes les plus longues de ma vie. Mon coeur tambourine dans ma poitrine, mais j'essaie de suivre le conseil de Nam Sun et de ne pas paniquer, du moins pas avant de voir le résultat. Ving secondes, quinze, dix, cinq... je baisse les yeux sur le test et reste captivée par le signe +. Mes lèvres dessinent tout de suite un "o" alors que je le prends en main. Comme j'ai promis de ne pas m'affoler, je m'interdis de crier "OH MON DIEU je le savais !!". Non, je suis parfaitement calme. Je pense pas du tout aux 9 mois, 243 jours de souffrance. « Tu dois être content d'avoir profité de mon cul tant qu'il était petit et ferme, hein ? » dis-je en me tournant lentement vers lui. Sérieusement, je crois que c'est son tour de s'affoler.

« Que tu sois irrationnelle, passe encore, mais là tu as besoin de respirer tout simplement. T'es pas sortie de ton appartement depuis combien de temps ?  » Longtemps... et c'était une bonne idée, si j'étais sortie, j'aurais mordu tout le monde sur mon chemin. « Aucune idée, j'ai perdu la notion du temps je crois. » Mais je vais arrêter, ce n'est définitivement pas une image sexy de moi. J'ai parlé calmement, le regard disant "je reconnais que c'est grave". Et pour continuer sur ma lancée, j'ai fini par faire le test de grossesse.

« T'es grave, et ne t'en fais pas, si tu gardes cette humeur de bulldog, plus aucune chance que j'y touche à ton cul.  » Il a vraiment aucun sens de l'humour ou c'est pour déconner ? « Donc jusqu'à preuve du contraire, tu es enceinte. » Je plisse les paupières à plusieurs reprises en le regardant. J'ai l'impression d'avoir vraiment, vraiment fait un plat de trois fois rien. Que même les personnages de NCIS prennent moins au sérieux leur complot russo-canado-vietnamien que moi. « Tu vas faire un deuxième test, ces choses-là ne sont pas fiables. Et avant que tu ne dises quoi que ce soit : si tu es effectivement enceinte, et que tu as raison, on fera ce qu'il faut, c'est pas de l'acharnement : deux précautions valent mieux qu'une seule. Tu n'as peut-être attrapé qu'un virus. » J'écarquille les yeux. « Hein ? »

J'ai le réflexe de re-regarder le test puis de me laisser tomber sur le canapé en me massant les tempes. Je suis bien prête à faire des efforts pour ne pas toujours réagir au quart de tour, mais là je crois bien que c'est lui qui exagère. « Bon, je vais ignorer le fait que tu m'as comparée à un bulldog et te dire que je peux pas refaire ce fichu test tout de suite. Mais pour te prouver qu'il y a encore des traces d'intelligence... » Je sors mon portable et le pose sur la table avant de regarder Nam Sun. « J'ai été faire une prise de sang hier, histoire d'avoir le coeur net. Le gynécologue devrait appeler à tout moment. Content ? » Pour moi ce ne sera qu'une confirmation. Je souris pour essayer de détendre l'atmosphère. « Ça doit pas être facile de rester si calme face à une fille juste incompréhensible. Désolée. » Sur ces doux mots, je me blottis contre lui en fermant les yeux, réalisant à quel point cette histoire m'avait éloignée de lui alors qu'elle aurait dû nous rapprocher.

Le sujet est de retour assez rapidement, dès que j'entends la sonnerie de mon portable en fait, que je mets sur hauts-parleurs. « Dans des cas rares, le taux d'hormones se trouve en si grandes concentrations qu'il fait croire que vous êtes enceinte. Vous avez juste du retard, quand vous prendrez des cachets, les maux de tête, nausées et crampes disparaîtront aussi. Je suis désolé, mais vous êtes jeune, vous pouvez toujours réessayer. » Ce truc d'hormones explique aussi le faux test positif... mais pourquoi ne suis-je pas en train de sauter de joie ? J'ai aucune réaction même. C'est une des rares fois où j'ai absolument rien à dire, même pas une blague pourrie.

« A la bonne heure, on dirait que finalement, tout n'est pas perdu. Pour un peu, tu me redonnerais foi dans le genre humain.  » Je me retiens de lever les yeux au ciel en lui signalant que lui, par contre, me désespère. Malheureusement pour moi, son rire est contagieux. « Au moins, tu le sais. Non, plus sérieusement, ne t'inquiètes pas pour ça. J'ai aussi mes mauvais côtés.  » Je souris, considérant ça comme une invitation à lui reprocher tout ce qu'il m'a dit. « C'est vrai que tu mériterais qu'on t'assomme à coups de coussin.  » dis-je sérieusement avant de me redresser un peu. « Tu vois ? C'est comme ça qu'il faut réagir quand je "te fatigue", en faisant de l'humour sans me vexer, ou même un petit mensonge blanc... » Je sais bien qu'on est formatés à agir d'une certaine manière, mais quelques déviances de temps en temps ne feront pas de mal. Je passe mon bras autour de son cou comme pour l'étrangler, comme si j'étais son pote.« ... au lieu de me balancer à la figure que j'ai une humeur de chien. » dis-je en riant, je resserre légèrement mon emprise avant de le lâcher et d'embrasser sa joue. « Je t'aime, tu sais. »

Après ce petit moment de détente, on est replongés dans notre problème. Non, en fait, il n'y a plus de problème vu que je ne suis pas enceinte. Il est difficile d'y croire quand on a passé les derniers jours à se convaincre du contraire. Tout à coup, je me sens un peu... vide. « Qu'est-ce qui ne va pas tout d'un coup ? Tu es fixée maintenant, pourquoi tu as l'air presque déçue ? J'avoue que je comprends pas.  » Il me ramène sur terre, je secoue un peu la tête. « Non ça va, ça va. Je m'y attendais juste pas. Je suis pas déçue mais soulagée. » Pour appuyer mes dires, je laisse tomber ma tête contre le canapé en soupirant. « Malgré tout ce que j'ai pu dire ou faire, je sais que je l'aurais aimé. » Petit sourire.

Dès que j'aurais pris ces cachets, les choses redeviendront normales. Mais je suis quand même contente, grâce à cette petite épreuve, je sais au moins que le fait d'avoir un bébé ne le fait pas fuir en courant, et heureusement vu que je ne peux plus voir ma vie sans lui. Mais cette histoire a aussi ses côtés négatifs : « Eh bien, je suppose que ça t'a pas donné envie d'avoir un enfant avec moi, tout ça. »