Aux grands maux les grands moyens

Même si à cet instant, j'aurais pu être sur une plage sous le soleil, un cocktail dans la main, m'occuper de Nam Sun me convient mieux. J'apprécie plus les moments partagés avec lui maintenant que nous sommes passés au-dessus de nos problèmes. Tout est même revenu à la normale - si on oublie le fait qu'il passe le plus clair de son temps dans son lit et que je fais la morte au boulot depuis deux semaines. Mais, étant donné notre relation tendue, je préfère ne pas me frotter à mes supérieurs pour le moment, chassant ma culpabilité en me convaincant que Hae Myung gérera mieux s'il ne doit compter que sur lui-même.

En parlant de lui, allez savoir comment une femme qui passe ses journées à jouer aux infirmières, trouve le temps d'attendre ou d'espérer de ses nouvelles. C'est ce qui m'a encouragée à dire oui quand il m'a invitée chez lui. Et les évènements récents ont beau avoir entâché ma bonne humeur, ça m'a pas empêchée de me réjouir de cette invitation, de m'observer lentement dans la glace avant de venir aussi... de m'y évaluer comme si j'allais rencontrer le président. Il a un certain effet sur moi, c'est clair.

« Tu devrais même pas être là... » je me conseille, en montant les escaliers de son immeuble plus lentement, prête à revenir sur mes pas. Puis une petite voix me signale que c'est juste Hae Myung, que cette idée de repas est sûrement partie d'une bonne intention et que Nam Sun est au courant, de toute façon. Je remonte donc les escaliers, avant qu'un nouvel argument vienne interrompre mon ascension : à moins d'être SDF, j'ai aucune raison d'être dans la maison d'un homme célibataire...  Hae Myung me rejoint avant que j'ai le temps de me mettre d'accord avec moi-même. « Regardez qui voilà, vous savez que vous êtes en avance Madame ?  » Je lui réponds avec un sourire. « C'est un problème ? T'as pas encore rangé l'appart ? »

Mais en rentrant chez lui, je suis rapide à constater que c'est emménagé avec goût. Je me laisse choir contre le sofa du salon en l'attendant. « Bon, ce soir je te le dis, j'ai placé la barre vraiment très haut. J'ai pensé à te faire de la cuisine française ! Du coq au vin. Tu aimes ? » De la cuisine française ? J'en ai loupé des choses... « Mais je n'ai trouvé ni coq, ni vin, du coup ce sera poulet et bière. » Je ramène mon regard sur ce qu'il vient de poser sur la table, mes lèvres étirées dans un sourire atteignant presque mes oreilles. « Si on peut regarder la télé en mangeant, mon coeur sera totalement acquis ce soir. » Peu à l'aise malgré les efforts, mon rire nerveux se mêle au sien pendant que je regarde autour de moi : « Tu vis tout seul alors ? T'as même pas un animal de compagnie... » je finis ma phrase sur un ton clairement déçu, comme si je me sentirais moins "seule avec un autre homme" en présence d'un chat ou d'un poisson rouge.

L'appartement ? Honnêtement, je n'y passais plus beaucoup de temps depuis que j'avais commencé à travailler à l'agence, et surtout depuis que Eun Hee avait commencé à déserter. Bien évidemment, je ne lui en voulais pas : sa situation ne devait pas être facile à gérer et Eun Hee devait être très éprouvée, nerveusement parlant.

Sans m'en rendre compte, la salle de réunion était devenue ma deuxième demeure (qui aurait cru qu'un fauteuil en cuir ferait un si bon lit de camps?) mais honnêtement, je commençais moi-même à fatiguer. Voilà pourquoi je m'étais dis qu'une petite soirée avec Eun Hee, serait une bonne idée. Elle pourrait ainsi penser à autre chose le temps de quelques heures, et moi je pourrai enfin avoir une vraie conversation avec une personne intéressée par le fait d'en avoir une (et ce serait mentir que de dire que je ne l'avais pas choisie car elle me manquait, car des adultes évolués, il y en avait autour de moi). Mais au moins, cela m'évitait les négociations avec un producteur qui ne serait intéressé que par l'emploi du temps des S.O.W, ou avec un des S.O.W eux-même, qui ne voudrait que me demander de faire des courses (ces gamins mangeaient chaque mois un tiers de mon salaire en nouilles instantanées, comment est-ce que Eun Hee avait-elle fait pour ne pas finir à la rue?)

Dans tout les cas, ce soir je tenais à ce qu'elle se détende, et ce, même si mes plans culinaires ne s'étaient pas déroulés comme je le voulais. Après tout, qui pouvait honnêtement affirmer ne pas aimer la bière et le poulet ? C'était dans les gênes de tout bon coréen selon moi. Alors face à son énorme sourire, je pouffais de rire, lui ouvrant une bouteille comme un parfait petit barman, ce qui allait sûrement me faire passer pour un... alcoolo? « Si on peut regarder la télé en mangeant, mon coeur sera totalement acquis ce soir. »  Pas vraiment fier, je tournais la tête, admirant mon appartement, tentant de dissimuler le voile rosé qui avait recouvert mes pommettes. « Ne me tape pas alors, car on vient de me couper le câble, manager intérimaire, ça ne paie pas des masses, tu le savais toi ?  » Je lui demandais cela, affichant un léger sourire, prouvant que je vivais tout de même très bien et qu'elle n'avait pas à se sentir mal pour moi.

L'ambiance était encore vraiment tendu, et c'était un peu gênant, alors je prenais une barquette de poulet et allais directement les faire réchauffer au micro-onde, préparant deux serviettes, que je balançais habilement sur le sofa, donnant l'impression que je faisais ça tout les soirs, m'en rendant compte, je venais tapoter sur ma nuque, souriant gentiment à mon invitée :« Tu vis tout seul alors ? T'as même pas un animal de compagnie... » Je sursautais, comme si elle venait de me sortir d'un songe et la regardais pendant quelques secondes, incrédule.

« Oui, tu es dans ma garçonnière là, et j'y passe trop peu de temps pour me prendre un animal, même si je ne dirai pas non à un petit lapin ? C'est bizarre ?  » Dis-je en haussant les épaules, et en l'invitant tacitement à venir s'installer sur le canapé.

Je m'ouvrais une bouteille moi aussi, et m'asseyais à côté d'elle, allumant la télé sur un film qui était sur le point de commencer : pourquoi pas ? Je laissais cela dit, la télécommande prêt d'Eun Hee, si elle n'appréciait pas le programme. « Ma télévision et ses 17 chaînes sont toutes à toi, dispose en à ta convenance. Je lui souris et croquais dans un morceau de poulet, presque goulûment (oui, ça faisait un moment que je ne m'étais pas accordé du temps pour un repas digne de ce nom). « Je me lance en terrain sensible si j'ose te demander comment tu vas en ce moment ?  » Je penchais la tête sur le côté, l'observant silencieusement, la laissant se confier si elle en avait envie, ou m'envoyer sur les roses si elle le préférait.

L'anxiété me gagne, on dirait que je m'apprête à révéler au monde que je suis Iron Man. C'est qu'avec Nam Sun, on a déjà eu droit à une seconde chance, et la peur de la foutre en l'air en profitant de la soirée, m'empêche d'en profiter, justement. « Ne me tape pas alors, car on vient de me couper le câble, manager intérimaire, ça ne paie pas des masses, tu le savais toi ? » Zut, moi qui comptais sur le pouvoir de l'audiovisuel pour réduire le nombre de nos conversations... « C'est pas grave, ça nous fera plus de temps pour discuter. » dis-je, complètement infidèle à mes pensées, m'incitant ainsi à culpabiliser davantage.

Le fait d'être entre nous ne me rassure pas. « Oui, tu es dans ma garçonnière là, et j'y passe trop peu de temps pour me prendre un animal, même si je ne dirai pas non à un petit lapin ? C'est bizarre ? » Je lui réponds par un hochement de tête en m'installant à ses côtés, dispensant nerveusement quelques caresses inconscientes sur mes bras. « Tu sais, j'ai beaucoup d'amies, je pourrais t'arranger un rendez-vous avec l'une d'elles ! C'est quoi ton type de fille idéal ? » Le fait que ça me déplait, même en théorie, me fait tremper mes lèvres dans la boisson immédiatement. Je lui souris quand il m'annonce que j'ai le droit de choisir ce qu'on va regarder, avoir le contrôle sur la télécommande est toujours un privilège.

Mais la télé n'est pas vraiment une source de distraction, la bière si, ce qui fait que j'en ai déjà enchaîné une deuxième lorsque Hae Myung brise le silence. « Je me lance en terrain sensible si j'ose te demander comment tu vas en ce moment ?  » Comme cette question m'étonne pas de lui... il me connait depuis suffisamment longtemps pour reconnaitre les signes d’un coup de blues, et je dois vraiment donner l'air d'avoir besoin d'un ami. « Je pense que ça ira mieux le jour où il n'aura plus de pansements sur le corps. Et toi, comment tu vas ? » répond ma voix tout doucement, sans même tenter de faire la sourde oreille. « D'ailleurs, t'es le seul qui réussit à me le faire oublier pendant des minutes entières... alors merci.  » Tout de suite, ma conscience me rappelle à l'ordre : je suis plutôt censée lui en vouloir, ou me donner une bonne claque à moi, n'est-ce pas ? Je sais plus... « Tu n'as pas un alcool plus fort chez toi ? »