Certaines choses ne changent pas.

Mon crayon tapait la surface de la table incessamment. Je n’arrivais pas vraiment à entendre le professeur donnant son cours magistral derrière le bruit sourd de la gomme sur le bois. Bien-sûr, si j’avais vraiment essayé d’écouter, j’aurais arrêté mon geste mais je n’en avais pas vraiment envie. En fait, j’avais le dessein caché de couvrir le bruit des autres étudiants autour de moi, mais bien évidemment, mon pauvre crayon ne couvrait que la voix de Monsieur Han.
C’est toujours comme ça, pensai-je agacée. Allons, comment un pauvre crayon pouvait couvrir un quelconque bruit ? Je n’avais pas le goût à la fac ou à étudier. De plus, le cours d’aujourd’hui n’était pas d’une grande pertinence. J’aurais seulement souhaité pouvoir ignorer les racontars autour. La seule explication que je voyais à cette incapacité était qu’inconsciemment, il y a des choses que je voulais entendre. Bien qu’en même temps, je refusais de les écouter. Non, il était plus facile de dire que j’avais tout fait pour me changer les idées.

« Au fait, Mee Nah-yah ! Tu as écouté la nouvelle balade d’Eden ???? » rugit une des filles. Je pouvais l’imaginer se tortiller sur le banc de l’amphithéâtre, juste derrière moi. « Ouiii ! Ça m’avait tellement manqué de l’entendre ! » répondit la Mee Nah-yah en question entre deux ou trois gloussements. « Oui, avec cette télé-réalité peu fructueuse, il ne poursuivre autant ses activités. Je suis soulagée qu’il soit revenu à sa vie normale. » Ma mâchoire se resserra un peu. J’étais à peu près convaincue maintenant qu’elles parlaient plus fort que nécessaire. D’un côté, je me sentais moins folle de ne pas pouvoir faire autrement que de les entendre. De l’autre, je soupirai, lassée de ce genre de comportements de la part de la horde royale de fans d’Eden. « Ne m’en parle pas ! C’était ridicule comme vie pour lui. Puis attends, tu as vu un peu le père ? Pas étonnant que la fille- »
J’atteignis ma limite précisément à ce moment-là, je bondis presque sur mon siège et me retournai pour les toiser du regard. Sans colère, sans méchanceté, juste avec une grande insistance et une certaine lassitude. « Encore un seul mot et je vous fais manger mon crayon. Oh et, arrêtez de vous donner le mal de faire comme si vous ne saviez pas que je n’étais pas là. Vous avez un truc à me dire, soulagez vos langues de … fans désespérées. En face. » Je ravalai un soupir avant de croiser à nouveau leur regard. Elles semblaient surprises par mon ton. Ou par mon intervention. Cela faisait des jours et des semaines que je les ignorai joyeusement. Seulement aujourd’hui, Soo Mi n’était pas là et Jin Wook n’avait pas pu me sortir encore cette semaine. J’étais donc particulièrement morose et agacée.

Depuis que Min Huan était parti, j’avais tant bien que mal repris ma vie ordinaire. Ce ne fut pas très difficile dans les faits. Se lever le matin, embêter mon chat un petit peu, préparer le petit-déjeuner, une tasse de café pour mon père, faire la vaisselle avant de me laver et partir à la fac. On survit le temps d’une journée, on apprend peut-être, puis on rentre, on révise ou écrit, on prépare à manger puis on dîne, on n’oublie pas avant de nourrir le fauve, sous peine de se faire attaquer. C’est après que ça se complique. On fait le bilan de la journée et rien d’excitant ; on ne sait pas trop ce qu’on attend de demain. Puis les soirées sont longues entre mon père qui n’est pas souvent là et mes amis qui ont leur vie de famille. Seul Jin Wook faisait l’effort occasionnellement.

La fille qui s’était assise juste derrière moi laissa glisser un sourire sur ses lèvres rosées. « On n’a rien à te dire. Tu ne représentes plus aucun intérêt. Eden est parti de chez toi non ? Et il ne reviendra pas. » J’avais pris un air hautement désintéressé. Ce n’était rien de neuf, si cette fille se pensait originale ! Mais quand j’entendis sa dernière phrase, j’eus bien du mal à cacher ma peine.
Je haussai un sourcil pour renforcer ma désinvolture à ses mots et me retournai vers l’avant, le regard dans le vide.

C’était vrai. Min Huan était parti. Et, oui, il n’avait aucune raison de revenir. Nous n’étions pas amis, pas même proches. Certes j’avais appris bien des choses sur lui, des choses que personne ne savait, des choses que je ne voulais même pas savoir de base. Je n’avais pas voulu de Min Huan en fait, depuis le début, sa présence était le résultat d’un énorme malentendu. Je n’avais aucune raison de regretter son départ. J’aurais dû être contente de reprendre ma petite vie tranquille. Mais alors, si c’était vraiment ce que j’avais voulu, pourquoi m’étais-je inscrite à cette émission à l’origine ? Etais-je aussi cupide au sujet de mon idole que ces filles l’étaient pour Eden ? Cette idée brisait quelque peu mon estime personnelle mais il y avait un peu de vrai là-dedans. Mais la vérité, c’est que j’avais eu envie de changement.
J’allais en avoir. Je le savais. L’émission avait ouvert quelques petites opportunités pour moi dans ce milieu. Certes, je n’avais pas grand intérêt pour le chant, la danse ou le cinéma. Mais participer à des petits podcasts ou d’autres émissions, pourquoi pas ? Avec un peu de chance, peut-être que ça pourrait m’aider un jour à percer en tant qu’écrivaine. Je me gardais bien d’en parler à d’autres personnes que mes deux meilleurs amis. Je n’avais pas besoin que d’autres inconnus s’immiscent dans ma vie. Sauf…

Je rentrai une nouvelle fois à la maison, le pas lent et perdue dans mes pensées. A quelques pas de l’entrée, je sortis mon portable espérant que Jin Wook me délivrerait enfin. A la place, je tombai sur ce message : « Hey Lin, je suis vraiment désolé mais je dois finir un projet avec mon groupe pour l’école. Mais demain, c’est Samedi. Je passerai, si ça te va. T’en dis quoi ? Donne-moi une chance ! » C’était mieux que rien mais j’avais pris l’habitude à ce qu’il décommande et, bien que je lui répondisse positivement, je ne m’attendais pas à ce que ça mène à quoi que ce soit.
Alors j’ai fait à manger, j’ai nourri le fauve, j’ai regardé la télé, sur un coup de tête, je me suis teint les cheveux en quête d’un petit changement, j’ai ensuite encore hésité à envoyer un message au chanteur, puis décidant qu’il serait plus facile de tourner la page sans ça, j’ai laissé tomber mon téléphone et je me suis endormie sur le canapé devant Netflix, ne m’affolant pas pour le lendemain.
Imaginez un peu ma tête en entendant frapper à la porte : qui osait troubler mon sommeil ? Je grattai mon crâne, oubliant au passage ma récente blondeur, et allai à la porte ouvrir d’un pas plein de sommeil et à l’équilibre peu assuré. J’eus à peine le temps de réaliser ce qu’il se passait qu’on entra directement et je restai sur le pas de la porte, clignant des yeux.
Je rêvais toujours, non ? Lors de ce court instant, j’avais cru reconnaître cette allure. Mais… il n’avait aucune raison d’être là. Min Huan…. « reviendrait pas ». Et pourtant, après avoir fermé la porte et m’être frotté les yeux, ce grand dadais se trouvait toujours bien là. J’étais sans voix et le suivais, le regardant faire comme si tout cela était normal. Min Huan était là. Min Huan était revenu. « Bonjour bonjour ! Je vous apporte le petit-déj ! Ne me remerciez pas, c'est la maison qui régale, je me suis dit que vous auriez besoin de manger des trucs bons de temps en temps, surtout si c'est toujours Hyo Lin qui cui... » Je fronçai un peu des sourcils suite au fracas qui agressa mes oreilles. J’étais cependant bien reconnaissante que ce bruit vint remettre un peu d’ordre dans ma tête : une seconde de plus et j’allais me jeter sur lui, le coinçant dans une embrassade qui aurait été sans nul doute gênante.

« Oh mon dieu, Monsieur Papa va me tuer... » Mon cœur se serra un peu en entendant « Monsieur Papa » et j’eus du mal à cacher un petit sourire avant de secouer la tête, la baissant pour mieux cacher mon air. Je ne pouvais pas avoir l’air si heureux. « Pas s’il ne sait pas que c’est toi… » avais-je lancé. « Je l’aurais fait de toute façon. C’est répugnant… » je ne comprenais pas pourquoi mon père s’acharnait à faire ce genre de choses parfois. « Enfin, faut me donner une bonne raison de garder le silence », ajoutai-je, complètement perdue et nerveuse. Je ne savais pas comment agir. Tout cela semblait surréaliste.
Je me mis une claque mentale. Réveille-toi mince ! « Je te préviens, si c’est pour des plaintes, j’ai mon lot aussi ! Oh, ça a l’air bon… » Je sautai d’une conversation à l’autre, jetant un œil dans le sac qu’il avait apporté après avoir écarté la tête loin… très loin de là. « Ou tu reviens peut-être pour ton pull ? Tu l’avais oublié… le problème, c’est que ma petite boule de poils l’a adopté donc… »

Pourquoi je cherchais tant d’excuses à sa venue ? Je réalisais un truc soudain. « Mon dieu, je viens de me réveiller, je ne suis même pas douchée ou coiffée… » sur mon visage, on pouvait y lire l’horreur de cette réalisation. Pourquoi ça me préoccupait tout d’un coup ? On avait passé des semaines à se voir dans toute notre splendeur presque tous les matins. Je me calmai alors gênée. « Hm. Tu-tu veux du thé pour aller avec ? Papa n’est pas là en ce moment donc j’ai réussi à faire rentrer du thé ici sans avoir une discussion interminable sur le fait que c’est une boisson de fillette… » je roulai des yeux en remplissant la théière. Je me demandai pourquoi je lui avais raconté tout ça. « Sérieusement, tu es juste venu pour faire ta bonne action caritative ? J’ai entendu que tu avais sorti une nouvelle chanson, tu as du temps pour ça ? »

La théière sur le feu, je me retournai vers lui en tentant vainement d’arranger une de mes mèches. La plaçant finalement derrière mon oreille, je me tins les bras en le regardant. Il avait un peu changé. Une nouvelle coupe, une nouvelle tenue aussi. Il semblait sortir d’un drama. Il était… absolument pas ce que j’avais toujours aimé chez un homme. Et pourtant, là, à cet instant, c’était une des plus belles personnes qu’il m’eut été donné l’occasion de voir. Yong Jae inclus.